Gainsbourg, le temps d'une chanson
« Tu t’en vas à la dérive
Sur la rivière du souvenir
Et moi courant sur la rive
Je te crie de revenir… »
Ainsi débute La noyée, une de mes chansons préférées de Serge Gainsbourg parti sur d’autres rives voici 25 ans. Tout a été dit ou presque sur le personnage : la provocation érigée en art majeur, les conquêtes féminines, les complexes….Les récents hommages médiatiques, nouveaux ouvrages consacrés (Bertrand Dicale) ne feront que conforter la légende.
Pour moi, plus que tout, reste l’œuvre incontournable d’un artiste total qui, à l’instar d’un Picasso aura marqué tous les genres, renouvelant constamment sa palette sonore au gré des collaborations avec ces arrangeurs : Alain Goraguer période Rive Gauche et Jazz, Michel Colombier, Jean-Claude Vannier et Alan Hawkshaw période Pop, Sly and Robbie période Reggae, Billy Rush période Funk… Mais encore au-delà le classieux Serge aura déployé un nombre impressionnant de talents sous de multiples facettes : peintre, musicien, photographe, cinéaste, écrivain (lire l’excellent Evguénie Sokolov).
C’est bien cette quête esthétique absolue qui résume le mieux celui qui aimait dire : « la laideur a ceci de supérieur à la beauté, c’est qu’elle dure… »
25 ans après, comme les grands vins de Bordeaux, l’héritage de Gainsbourg, débarrassé des scories de la période Gainsbarre, s’est grandement bonifié. En France tout d’abord où il fit longtemps figure d’incompris (le génial Melody Nelson ne dépassant pas les 5000 exemplaires vendus à l’époque), il fallut attendre l’album reggae pour qu’il reçoive la reconnaissance du public. Depuis son aura artistique n’a cessé de croître. A l’étranger, il est devenu tout simplement culte, comme en témoigne l’ensemble de l’œuvre de Beck qui ne cesse de le référencer dans ses disques.
Avec du recul du temps, et dans les méandres de son importante discographie, je souhaite ici lui rendre hommage en vous proposant une playlist de l’artiste français qui m’aura le plus marqué et enchanté.
Pour écouter la playlist, c'est ici.
Commençons donc par La noyée cette chanson rare enregistrée dans l’émission « samedi loisirs » le 4 novembre 1972 dans une version dépouillée d’un simple accompagnement au piano de Jean-Claude Vannier qui en fit un magnifique arrangement sur la reprise d’Anna Karina.
Jean-Claude Vannier fut dans l’ombre, un des principaux artisans de l’œuvre de Gainsbourg. Musicien, il participa grandement à la composition de l’album Melody Nelson En tant qu’arrangeur, il collabora notamment à diverses Bandes Originales de film dont les irrésistibles La horse ou Evelyne dans Slogan:
De sa période Rive Gauche on a tous en mémoire La Javanaise écrite pour Juliette Gréco dont je préfère la version admirative de Claude Nougaro dans l’album Recréation sublimée par le piano de Maurice Vander.
Si Gainsbourg fut repris avec talent (citons aussi la version fidèle de « l’hôtel particulier » des Rita Mitsouko), il lui arriva aussi de se prendre au jeu piègeux de l’arrosé arroseur. Il faut écouter son cover de « Ah si vous connaissez ma poule » du truculent Maurice Chevalier, ou la délicate version de « J’entends siffler le train » de Richard Anthony.
Ayant passé des années à ramer avec pour seul bagage un succès d’estime, ces contributions à l’écriture pour ses collègues ont connu davantage de succès, notoirement avec France Gall.
Pour ma part, j’ai toujours eu un faible pour sa collaboration avec Alain Chamfort auquel il donna le crédit artistique, et le succès que l’on connaît avec Manureva, arbre qui cache la forêt de 3 superbes albums : Rock’n Rose, Poses, et Amour année Zéro. De la trilogie, je vous propose Baby Lou sur le 1er album enregistré en Californie avec, excusez du peu, les frères Porcaro du groupe TOTO.
Mais revenons à notre homme dont l’exigence discographique suscite l’admiration. Précurseur de ce qui deviendra la World Music, Serge nous balance en 1964 l’album Percussions dans lequel brille une « Couleur café » aux racines africaines.
Gainsbourg dit qu’il « aime bien les noirs » et ils le lui rendent bien comme en témoigne l’accompagnement rythmique des inséparables Sly Dunbar et Robbie Shakespeare (batterie et basse connus entre autre pour leur participation à quelques pépites de Peter Tosh, Grace Jones, Joe Cocker, Dylan…). La réussite Reggae d’aux armes et caetera marqua un véritable tournant dans la carrière de Gainsbourg qui, pris au jeu de la reconnaissance, se fera dévorer tout cru par son Mr Hyde/Gainsbarre. Sous les cieux jamaïcains, l’écriture de Serge est à son climax. Le style percussif du Reggae met particulièrement en relief sa poésie. Il faut urgemment réécouter Lola Rastaquouère où le coquin Gainsbourg fait monter la température bien au-delà de ce que fut le torride « Je t’aime moi non plus ».
Maladivement timide, pétrifié par le trac, Gainsbourg s’absenta de la scène pendant près de 15 ans. Ragaillardi par l’invitation complice du groupe Bijou, il livre en cette fin d’année 1979 une prestation d’exception au Palace avec ses potes rastas. Trop jeune à l’époque pour assister à ce mythique revival, je dus me contenter du dernier concert à Angers de sa dernière tournée dîtes du Zénith avec cendrier géant en guise de mise en scène.
Les cieux jamaïcains n’ont pas été les seuls propices à l’éclat du génie de notre tête chercheuse. C’est bien sous la grisaille du ciel londonien qu’il passa le plus de temps hors de nos frontières. De Melody Nelson à L’homme à la tête de chou, Gainsbourg est au sommet de sa quête artistique. Ses œuvres sont des OVNIs, des masterpieces jamais entendus qui laisseront malheureusement le public de l’époque indifférent. Entre luxuriance symphonique, pop anglaise libérée, il développe une signature vocale singulière empreinte d’un phrasé plus conté que chanté, suivant les traces de ses auteurs préférés : Nabokov, Heredia, Lautréamont.
Je vous propose en guise de conclusion Variations sur Marilou qui demeurera parmi tant d’autres, l’œuvre d’un chef, un maestro des mots et des muses qui continuera à inspirer des générations de musiciens et d’auteurs.
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